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Des institutions multilatérales... pour quoi faire et pour quels résultats ?

20 December 2017

Écrit parIsabelle Durant, Secrétaire générale adjointe de la CNUCED

Les institutions multilatérales sont-elles capables de progresser ? Ou souffriraient-ils d'obsolescence programmée ? Même impopulaires, et en dépit des marges de manœuvre que (ne) se donnent (pas) les gouvernements qui les mandatent, ces institutions sont au contraire plus importantes qu'elles ne l'ont jamais été.

Alors qu'à Bonn on démonte les installations de la COP23 - entendez la 23ème Conférence des Parties de la Convention Cadre des Nations Unies pour le Changement Climatique -, à Buenos Aires, on installe celles qui accueilleront MC11 - comprenez la 11ème Conférence Ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce.

Bien qu'elles ne concernent en définitive que les ministres des Etats qui en sont membres, ces conférences inter-gouvernementales sont devenues au fil des années des lieux et des moments incontournables pour une myriade de protagonistes privés, associatifs, lobbyistes et parlementaires, chacun d'eux étant en quelque sorte potentiel bénéficiaire ou victime et se voulant en tous cas acteur des décisions inscrites à leur agenda.

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C'est peu dire que les résultats qui y sont engrangés sont perçus comme inversement proportionnels à l'énergie, au temps et aux moyens déployés dans les étapes préliminaires, au sein d’innombrables réunions préparatoires ou parallèles, dans et hors des environnements ministériels. L'exégèse des textes et recommandations qui y sont adoptés varie selon la nature et la position de ceux qui y procèdent. La complexité, le nombre d’annexes et autres documents joints ne contribuent pas plus à leur lisibilité et donnent du grain à moudre aux affamés de simplisme qui mettent en cause la poursuite de telles grandes messes.

 
Une course d’étapes
 

Il est cependant utile de rappeler une évidence : il est impossible de déconnecter ces résultats du contexte dans lesquels ils sont produits.

A Bonn, l’équation était à plusieurs inconnues en raison de l’annonce il y a quelques mois du possible retrait des USA de l’accord. La conclusion sans doute la plus intéressante, à savoir la confirmation du caractère inéluctable du processus ne se trouve pas explicitement dans les textes.

 
 
quoteLa marche est en cours et ne s’arrêtera pas. Un peloton d’acteurs nouveaux, pugnaces, interconnectés, innovants, moins attendus jusqu'ici mais pas moins légitimes battent la mesure : des villes, de nouveaux acteurs de la société civile dans des alliances parfois inéditesquote
 
 

La marche est en cours et ne s’arrêtera pas. Un peloton d’acteurs nouveaux, pugnaces, interconnectés, innovants, moins attendus jusqu'ici mais pas moins légitimes battent la mesure : des villes, de nouveaux acteurs de la société civile - thématiques ou holistiques - , dans des alliances parfois inédites. Il est en train de remonter la course et pourrait bien imposer le tempo à ceux à ceux qui sont en queue.

Quant aux échappés, tout le monde sait que seuls, ils peuvent gagner une étape, mais pas la course. Le problème reste cependant le rythme de cette marche forcée et le montant qu'on est prêt à consentir pour que tous y participent et en bénéficient.

A Buenos Aires, ce sont les ministres du commerce qui vont négocier, alors que faute d’accords entre eux depuis le cycle de Doha en 2001, les 164 Etats qui en sont membres ont mis l’OMC à la diète en matière d'accords multilatéraux, alors même que c’est sa fonction première et unique.

On ne s'attend d’autant moins à un changement radical de régime que les positions semblent rester assez polarisées quant aux sujets à l'ordre du jour, à savoir, dans les grande lignes la surpêche, les subventions à l'agriculture, le commerce électronique. Avec entre ces lignes grossièrement tracées, toutes sortes de (dés)accords possibles.

Durant ces 15 années, la crise financière de 2008 a profondément marqué les économies et creusé les inégalités pendant que l 'OMC s'est vue contrainte de travailler à la marge de son mandat. Elle aura assisté pendant toute cette période à l’augmentation exponentielle d’accords bilatéraux et régionaux en matière de commerce et d’investissement.

Négociés isolément, leur addition rend encore plus complexe la nébuleuse des relations commerciales et allonge considérablement la liste des standards et exigences qu’ils imposent. Ici, point de peloton. Des cyclistes en ordre dispersé et ici ou là, une dose de dopage pour faire gagner le plus fort.

 
Obsolescence programmée ?
 

Se pose alors la question de savoir si ces lieux, outils et institutions multilatérales sont capables de progresser ? Souffriraient-ils d'obsolescence programmée comme le prétendent ceux qui n'ont à la bouche que les mots nation (ou région) et qui sont prêts à hypothéquer la qualité des compromis qui peuvent s'y construire au profit de la légitimité qu'ils leur confèrent ou de la posture qu’ils leur permettent de prendre ?

Même impopulaires, et en dépit des marges de manœuvre que (ne) se donnent (pas) les gouvernements qui les mandatent, ces institutions sont au contraire plus importantes qu'elles ne l'ont jamais été.

L’interdépendance dans laquelle nous vivons ne fait qu’accroître leur raison d’être. Mais à certaines conditions. Elles ont incontestablement à se départir d'une technocratie invasive et elles ont de solides incohérences à résoudre. C'est d'ailleurs le pari et le chantier de reforme des Nations Unies lancé par le Secrétaire Général Antonio Guterres.

Une lenteur certaine continuera toutefois de caractériser leur processus de décision formel. Lenteur : un terme d'une grande incongruité dans un monde d'immédiateté et qui résonne comme une insulte face aux urgences sociales et environnementales.

C’est cependant inévitable et inhérent à la diversité, au nombre, au fonctionnement et aux interactions politiques qui tissent les relations changeantes entre les gouvernements. A charge pour ceux qui veulent faire bouger les lignes de faire bon usage de ce qu'ils permettent.

 
Commerce et climat : je t’aime moi non plus
 

Quelles interactions entre Bonn et Buenos Aires, entre ministres du commerce et de l’environnement ? Jusqu’ici assez peu pour ne pas dire pas du tout. L’accord de Paris ne faisait nullement mention du commerce. L’OMC s’est toujours bien gardée de se prononcer sur les aspects environementaux même si sa doctrine a évolué à partir de certaines affaires qu’elle a été amenée à arbitrer. Il y a donc une solide marge de progression.

Faute de régulation applicable à tous et dans l'attente faut-il charger les accords bilatéraux et régionaux d'intégrer des standards climatiques en plus des conditions sociales et environnementales que d'ailleurs ils ne contiennent pas toujours ou de façon parfois assez laconique ? Faut-il restreindre le commerce international pour réduire les émissions de CO2 ? Au sens commun cela peut apparaitre comme logique, mais gardons-nous bien de cette seule pseudo-évidence.

 
 
quoteIl va donc nous falloir sortir du binaire et faux débat protectionnisme versus libre échange, commerce versus climatquote
 
 

Le commerce, y compris international, est aussi une partie de la solution, une clé du développement en particulier pour les pays aux économies les plus fragiles et fermées. Mais à l'instar des pratiques des partenaires du commerce équitable qui s'appliquent à en faire un outil de développement, cela requiert des conditions comme le fait de privilégier d'abord l'échelon régional dans la construction d'une chaîne de valeur.

Il va donc nous falloir sortir du binaire et faux débat protectionnisme versus libre échange, commerce versus climat.

D'abord parce que les relations Nord Sud se sont profondément tranformées, teintées d'une solide couche de Sud-Sud. Ensuite parce que les " camps " se sont inversés.

Les mesures protectionnistes dans certains marchés qui étaient considérées par les pays développés comme acceptables (mais assorties tout de même de subventions à l'exportation de leurs produits !) pour stimuler le développement su Sud le sont de moins en moins.

Pire, certains pays riches veulent se les appliquer à eux-mêmes pour protéger leurs acquis. Conçues de cette manière, elles ne viendraient qu'aggraver encore les fuites dans le financement du développement, et ne seraient en définitive que de mauvais substituts à la construction de régulations commerciales, environnementales, climatiques et sociales efficaces.


Cet article a été publié dans l'Echo le 20 Décembre 2017